HF THIEFAINE
STRATÉGIE DE L'INESPOIR
01 . EN REMONTANT LE FLEUVE
02 . ANGÉLUS
03 . FENËTRE SUR DÉSERT
04 . STRATÉGIE DE L'INESPOIR
05 . KARAGANDA (CAMP 99)
06 . MYTILÈNE ISLAND
07 . RÉSILIENCE ZÉRO
08 . LUBIES SENTIMENTALES
09 . AMOUR DÉSAFFECTÉ
10 . MÉDIOCRATIE. . .
11 . RETOUR À CÉLINGRAD
12 . TOBOGGAN
BONUS : PÈRE & FILS
X V I I
SUBSTANTIALITÉ
ART IV : MUSIQUE
GENRE : ROCK POÉTIQUE FRANÇAIS
OBJET : XVIIe ALBUM
TITRE : STRATÉGIE DE L'INESPOIR
ARTISTE – Auteur/Compositeur/Interprète : HF THIEFAINE
COMPOSITION : 12 titres + 1 Bonus
LABEL : SONY MUSIC
STUDIO GARAGE
(mixage et prises de sons guitares, claviers, cordes et voix)
STUDIO FERBER
(prises de sons batteries, basses, claviers et guitares)
Assistants : Guillaume Dujardin
STUDIO CABARET SAINTE LILITH
pré-production et prises de sons guitares, voix
RÉALISATION, ENREGISTREMENT, MIXAGE :
Lucas Thiéfaine & Dominique Ledudal
ARRANGEMENTS : LUCAS THIEFAINE
Arrangements pour mytilène Island : Vincent Ségal
DIRECTION ARTISTIQUE : Philippe Gandilhon & Philippe Russo
CHARGÉ DE PRODUCTION : Sébastien Stéfani
PHOTOS & ARTWORK : Yann Orhan
ÉPIGRAPHE :
« Le fou a chanté XVII fois, les yeux croisés sur son perchoir, une vérité au bout des doigts, une lampe entre les mâchoires... »
HFT Le chant du fou (1969)
A l'heure de la mort de l'industrie du disque, du téléchargement, du prêt des médiathèques, de la gravure et de la numérisation, les rares albums rejoignant ma discothèque répondent à des critères de sélection plutôt pointus.
D'abord il s'agira d'un artiste que je suis et dont les textes méritent une trace écrite, ensuite ce devra-t-être un bel objet et enfin il faudra que j'ai l'envie de l'écouter en boucle.
Ainsi ces dernières années, les privilégiés ont été : Brigitte Fontaine et son « J'ai l'honneur d'être » en collaboration avec Areski Belkacem et Enki Bilal, Tom Waits « Bad as me », Alain Souchon « La Vie Théodore », Thiéfaine « Suppléments de mensonge » et son dernier opus « Stratégie de l'inespoir ».
Thiéfaine c'est avant tout une esthétique, punkie d'abord, elle évolue vers une imagerie mélancolico-rock. Cet album, qui suit une consécration aux Victoires de la Musique après une carrière underground de plus de 30 ans, témoigne du passage de l'artiste de l'ombre à la lumière.
Loin d'être racoleur, la première écoute de ce disque laisse un brin dubitatif. Ça manque de rock, de punk... les univers y sont plus nostalgiques qu'électriques. Mais en bonne connaisseuse de l'artiste je savais que je ne devais pas rester sur cette première impression, mais écouter, ré-écouter, comprendre la prose toujours secrète de Thiéfaine, m'acclimater à sa nouvelle voix et permettre que l'artiste puisse évoluer, mûrir, vieillir comme tout à chacun.
Passé par pas mal d'excès, le gars a trouvé depuis quelques années, santé et relative sérénité. Pourtant toujours rebelle, Thiéfaine n'a rien perdu de son regard d'enfant sauvage du XXe siècle et il nous offre encore son cri adolescent mêlé d'une poésie qui n'appartient qu'à lui.
Pétri de culture, le chanteur poète nourri sa musique de références et de clins d’œil. Empruntés à tous les arts depuis l'Antiquité, voir à la préhistoire « on sort d'un vieux logiciel made in Néanderthal-City »
Ses mentors, chansonniers et poètes, Léo Férré, Rimbaud, Dylan ou Céline transparaissent dans son « écriture » et transpirent de ses pores. Ainsi, le cultureux remarquera, outre l'épigraphe de Paul Celan, le clin d’œil au Bateau ivre de Rimbaud dans le premier titre où contrairement au poète qui descendait des fleuves impassible,Thiéfaine remonte le fleuve au-delà des rapides. L'averti entendra plus clairement la dédicace plus franche à Céline dans le titre Retour à Célingrad, Mytilène Island ne sera pas étrangère au féru d'histoire, le curieux se renseignera sur Karaganda...
Dix des douze des titres portent en épigraphe les paroles d'illustres poètes :
- Paul Celan, poète et traducteur roumain de langue allemande naturalisé français
🎶 EN REMONTANT LE FLEUVE
« ...ein Weisensteinchen, flussaufwärts, die Zeichen zuschanden-gedeutet... »
« ...infime caillou philosophal, en remontant le fleuve, les signes interprétés à mort à néant... »
- Charles Trenet, chansonnier français surnommé « le fou chantant »
🎶 FENÊTRE SUR DÉSERT
« Bonheur fané, cheveux au vent, baisers volés, rêves mouvants »
- Pétrarque, érudit, poète et humaniste italien renaissant
🎶 STRATÉGIE DE L'INESPOIR
« chi puo dir com'egli arde, è in picciol fuoco »
« Celui qui peut dire comment il brûle, ne brûle que d'un feu médiocre »
- Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe existentialiste français
🎶 KARAGANDA (CAMP 99)
« Tout anti-communiste est un chien »
- Léon-Paul Fargue, poète et écrivain français
🎶 RÉSILIENCE ZÉRO
« J'ai été l'enfant qui tombe, et qui se fait très mal, et qu'on relève avec une gifle »
- Marcel Proust, romancier du début XXe
🎶 LUBIES SENTIMENTALES
« L'amour devient immense, nous ne songeons pas combien la femme réelle y tient peu de place »
- Lucrèce, poète et philosophe latin du 1er siècle av. J-C
🎶 MÉDIOCRATIE...
« Ogenus infelix humanum... »
« O race infortunée des hommes... »
- Louis-Ferdinand Céline, médecin et écrivain français nihiliste taxé d'antisémitisme
🎶 RETOUR À CÉLINGRAD
« Alors je vous prie ! Ma Statue ! Mon Square ! Mes Esplanades ! ma Ville ! Célingrad ! Célingrad au fait ! »
- Federico Garcia Lorca, poète et dramaturge espagnol, également peintre, pianiste et compositeur
TOBOGGAN
« …porque yo no soy un hombre, ni un poeta, ni un hoja, pero si un pulso herido que sonda las cosas del otro lado... »
« ... parce que je suis ni un homme, ni un poète, ni une feuille, mais une pulsation blessée qui sonde les choses de l'autre côté... »
L'album que je tiens en main est un cartonnage à la Bradel qui se feuillette comme un livre, le disque y est glissé en dernière page dans une pochette de papier noir.
C'est Yann Orhan, photographe et graphiste qui design l'album. De son travail, très personnel, se dégage en clair-obscur, l'âme de ceux qu'il photographie. Ses shoots de M, Brigitte Fontaine ou Alina Orlova donnent à imaginer l'atmosphère et la couleur musicale de l'artiste. Ses visuels sous-tendent une patte, une personnalité, un univers artistique. Professionnel de l'industrie du disque, il s’imprègne au préalable de son sujet et en les sublimant, participe à une communication efficace qui croise les arts.
C'est également lui qui avait œuvré à Supplément de mensonge où l'on pouvait voir Thiéfaine torse nu, de face comme défiant l’œil du photographe, il apparaît aujourd'hui les yeux bandés de dentelle noire et sans titre apparent.
Les deux albums noirs et blancs se suivent et se répondent, d'autant que c'est durant la tournée de Suppléments de mensonge qu'il a écrit les textes de Stratégie de l'inespoir.
Six photographies rythment les textes sur pages blanches. La première, en regard de la tracklist et en clair-obscur, dévoile l'artiste portant lunettes noires, tête penchée, face à une fenêtre que l'on ne distingue pas. Puis un plan américain fait ressortir l'artiste à mi-cuisse dans un couloir au papier peint vieilli et déchiré. Au cœur de l'album et sur une double page, une photographie met l'artiste en abyme grâce à un miroir dans une chambre qui paraît désaffectée. En regard de la chanson Médiocratie, un gros plan comme pour imager l'amertume de l'artiste face à la déshumanisation que dénonce le texte. Enfin, une dentelle végétale encadre un double portrait celui des Thiéfaine, père et fils. Puis, au dos de l'album, la dentelle prend le dessus... Annonce d'une succession déjà ébauchée ?
L'univers graphique de l'album fait songer à un manoir isolé en profonde campagne laissé à l'abandon depuis des lustres où erre un homme seul. Là, dans le calme et la désuétude l'artiste peut écrire, enregistrer... A la manière de Gus Van Sant dans son film Last Days, qui met en scène Mickael Pitt dans le rôle de Kurt Cobain, imaginant les derniers jours du musicien dans une demeure perdue, Yann Orhan place Thiéfaine dans la froideur du temps qui passe.
On se surprend même à penser que peut-être, il passe la main, et ouvre la voie à son fils déjà très présent musicalement sur l'album.
Le douzième titre, le bonus, laisse également présager cela. C'est un hommage à son fils, une déclaration d'amour filiale, qui, à mon sens, n'avait pas sa place ici tant elle est lisse et mièvre, sans harmonie aucune avec le reste de l'album.
Empruntés à la mythologie, à la littérature ou à l'ésotérisme, le très poétique et parfois hermétique lexique de Thiéfaine, transporte l’aficionado dans un univers rimbaldien électrisé, sur un asphalte suintant la mélancolie...
Fidèle à sa prose singulière, il livre un album résolument rock, mâtiné d'épicuriennes et délicates variations. C'est dans son chant et la musique qui l'accompagne que la métamorphose a opéré. Cet album, plus sage, signe un passage, comme un quasi-endormissement, comme un pas vers une sagesse acérée... Est-ce le résultat d'une reconnaissance par un public plus large ? Répond-il à une commande plus consensuelle ?
Pourtant jouant d'alexandrins et de néologismes, (médiocratie médiacrité, inespoir...) sa « musi-mélancolie » est toujours aussi savoureuse. C'est juste que l'écoute de Stratégie de l'inespoir demande une écoute plus attentive, plus solitaire, plus réflexive.
Après avoir remonté le fleuve, dans son Angélus, l'ancien séminariste qu'a été Thiéfaine assassine Dieu : « je te salue seigneur (…) je suis ton déicide ».
Puis, il se libère d'un amour non-exclusif dans Fenêtre sur désert, et déclare une flamme lucide et sans concession dans Stratégie de l'inespoir. On part au Kazakhstan, à Karaganda, symbole de souffrance et de désillusion pour bon nombre de pilotes anti-fascistes espagnols incarcérés sous Staline. « c'est l'histoire assassine qui rougit sous nos pas / c'est la voix de Staline c'est le rire de Béria ... ».
Le voyage s'adoucit à Mytilène Island, cité de Lesbos, judicieux jeu de mot qui s'inscrit comme une ode à l'homosexualité féminine habillée de notes par la sensitive et sensorielle Jeanne Cherhal.
Puis vient Résilience zéro, texte nostalgique qui fait figure d'un J'accuse aux briseurs d'enfance. A la suite et en regard, deux chansons d'amour contraires, que suit Médiocratie, véritable coup de gueule contre la superficialité de notre société : « ça manque un peu d'humanité ».
Vient le Retour à Célingrad, écrit à l'occasion du 50e anniversaire de la mort de Céline, dont on ne sait trop s'il s'agit d'un éloge ou d'une diatribe, à l'égal de l'auteur à la fois génial, collaborateur et antisémite... Enfin le toboggan figure la glissade sensationnelle vers l'inconnu ou le chaos, et le chanteur expérimenté se demande « maint'nant devrais-je avoir peur & et fuir devant le toboggan ? »
Cet album apparaît comme une confession, un exutoire ou un testament. A la fois nostalgique, accusateur et libérateur, Thiéfaine fait le ménage. On sent une réelle évolution chez l'artiste qui gagne en maturité mais doit à tout prix se préserver de tomber dans la facilité de la variété. La musique qui enrobe ses textes est en effet moins percutante et plus « variet »... Sans doute a-t-il voulu ouvrir la voie à son fils qui calque sa musique sur un genre qui n'est pas le sien.
Pour finir, je dirai qu'un peu déçue par la couleur de ce disque, je demeure néanmoins impatiente de retrouver Thiéfaine sur scène dès l'automne prochain.