« Isaak a un don incroyable pour faire en sorte que les gens s'ouvrent à lui et se sert de l'outil filmique comme un artiste aguerri manie ses pinceaux. En résulte du beau, de l'émotion et une humanité profonde. »
Times Online
FICHE TECHNIQUE
ART N°7 : Cinéma
GENRE : court-métrage documentaire
SOCIÉTÉ DE DISTRIBUTION : compagnie # Future shorts - festival de films itinérants
ANNÉE : 2001
TITRE : Lift
AUTEUR - RÉALISATEUR : Marc Isaacs
@ http://www.marcisaacsfilms.com/
SYNOPSIS : A quietly fascinating meditation on the mundanities of London life. Installing himself inside the lift of a high-rise block of council flats, Isaacs and his camera patiently observe the residents as they go about their daily business. As each of his subjects enters the lift, it's interesting to note their reactions to him being there; some are suspicious, others curious, and then there are those who seem more comfortable in his presence. (Times Online)
Une réflexion subtile et fascinante sur les va-et-vient londoniens. Posté dans un ascenseur d'une tour de logement sociaux, Isaacs et sa caméra observent patiemment ses résidents au fil de leurs activités quotidiennes. Au fur et à mesure qu'un sujet entre dans l'ascenseur, il est intéressant de voir leurs réactions face à sa présence : certains sont méfiants, d'autres curieux, et il y a enfin ceux qui semblent plus à l'aise. (traduction : Manu)
DURÉE : 24,35 minutes
LIEU DE TOURNAGE : l’ascenseur d'une tour de l'est londonien
PERSONNAGES : une population bigarrée vivant dans l'immeuble
LANGUE : anglais
FORMAT : court-métrage
ORIGINE : Grande Bretagne - Londres
BANDE-SON : mono
CONDITION & LIEU DE VISIONNAGE : projection par vidéo-projecteur à l'université Champollion d'Albi, dans le cadre d'un enseignement « cinéma » par Fabrice Godard, colporteur d'images pour les Vidéophages
ÉQUIPE DU FILM : directrices de production : Rachel Wexler & Georgena McGahey / son : Bruce Stuart / mixage Nick Fry / éditeur : Clyde Kellett & Russell Crockett / couleur : Perry Gibbs / productrice exécutive : Belinda Gills & Andrew Hinton / adaptation : Julie Dutertre
Quelques mots d'introduction :
À la manière de l'émission belge Strip-Tease, les personnages du Lift se dévoilent dans leur quotidien sans qu'aucun jugement ne soit suggéré de la part du réalisateur. Par des questions brèves et intimes, Isaacs inspire à la confidence. Il met en lumière l'humanité dans le monde contemporain dans sa matérialité la plus cruelle.
Marc Issacs, un cinéaste hors du commun
À propos du réalisateur
Docteur cinéaste diplômé de l'université de l'East London, depuis 2001, Chris Isaacs a réalisé plus de 10 films documentaires pour la BBC et Channel 4. Ses films ont connu le succès et reçu de nombreuses récompenses lors de festivals internationaux. On lui a consacré une rétrospective lors du festival du film documentaire de Lussas (Ardèche) en 2006. Outre son travail de cinéaste, il enseigne aujourd'hui à la London film school, The national film & television school et à la Royal Holloway university.
Reconnu pour son empathie, Chris Isaacs a ce quelque chose qui pousse les gens à se confier à lui. Il en retire alors des créations originales et pétries d'humanité. Souvent désigné comme cinéaste « spatial », il tire profit des espaces publics afin d'y dénicher le vrai, le pur, une certaine idée du réel...
Filmographie
2001 : Lift
2002 : Lifters
Little vilain
Everyday thieves
2003 : Travellers
Calais, the last borders
2005 : Someday, my prince will come
2006 : The man who couldn't stop lying
Philip and his seven wives
2008 : The Curious wolrd of Treaton-on-sea
All whites in barking
2009 : Men of the city
2011 : Outside the court
2013 : The Road : a story of life and death
Lift, un ascenseur où se jouent des vies à cru
Mécanique froide de l'acier, grisaille morne du béton, climat glacial : c'est dans ce décor impersonnel et inhospitalier que Chris Isaacs choisit de percer à jour l'humanité dans ce qu'elle a de plus cru.
Lui-même issu de ces quartiers défavorisés de l'est Londonien, le cinéaste fait éclater les oubliés de notre société et les amène sur le devant de la scène. Il dévisage ces fantômes de l'arrière-plan, ces ouvriers sans qualifications qui triment, ces exilés venus chercher un eldorado, ces gens du tout venant qui parlent une langue sans fioriture et rentrent chez eux, seuls, la nuit.
Lift représente excellemment bien la manière dont Isaacs travaille, un décor simple, des gros plans et avant tout le déploiement d'une idée. Ici, celle de l'emprisonnement de ses sujets successivement dans un espace confiné, dans une tour ou dans leur condition sociale... Les résidents pathétiques, attachants ou sardoniques amènent à sourire ; pourtant désenchanté, le spectateur peut vite en venir aux larmes tant la nature de la condition humaine dans le monde contemporain paraît sinistre. À bon chat bon rat, l'expression correspond bien à l'intention d'Isaacs, étant toujours au bon endroit au bon moment, il obtient, chez ses sujets une justesse d'état et de propos.
Le caractère multi-ethnique et par extension multi-culturel de Londres assure à Isaacs une variété d'individus, des couleurs de peau différentes, un éventail de religions, en somme, un échantillon pertinent de notre société. Le fossé superficiel et pourtant clair qui sépare les résidents de la tour contribue grandement au message du film.
Le véritable intérêt du travail d'Isaacs est la confiance qu'il parvient à inspirer chez ses sujets. Une confiance qui éclot grâce à l'espace familier et confiné. D'abord, quelques-uns sont réservés, d'autre plus présomptueux regardent fixement l'objectif et il y a ceux disposés à coopérer ou simplement ravis que l'on s’intéresse à eux, qui se livrent avec entrain. Au fur et à mesure que le film progresse, tous semblent s'habituer à sa présence, Marc Isaacs devient partie intégrante de leur rituel quotidien.
Une fois qu'il a gagné la confiance de ses sujets, Isaacs leur pose une question simple. Technique tranchante mais efficace qui amène les personnage à révéler ce qu'ils ont de plus profond en eux. Les questions déclinées sont les suivantes (selon les cas) :
- « Quel est votre plus beau souvenir ? »
- « Croyez-vous en Dieu ? »
- « De quoi avez-vous rêvé cette nuit ? »
- « À qui vas-tu rendre visite ? »
- « À quoi avez vous pensé aujourd'hui ? »...
Les réponses données et la réflexion qu'il insinue chez ses sujets sont captivantes. Une femme lui dira même : « vous m'avez fait réfléchir en me demandant à quoi je pensais, je me suis dit que personne ne m'avait jamais demandé... »
Lift se déroule sous la lumière morbide et artificielle, qui éclaire l'errance des âmes en peine sur les couloirs sales de la vie. Mais par delà cette esthétique sinistre et mensongère, Isaacs pose l'indéniable paradoxe de la concentration et de la solitude humaine. Critique acerbe de l'Occident urbain, Lift n'est pas un ascenseur social mais bel et bien l'ascenseur d'un logement social.
Deux mois dans l'ascenseur d'une tour de l' East End de Londres
La tour
La tour est un immeuble de 20 étages situé dans la banlieue Est de Londres. Il s'agit d'un logement social dans un quartier défavorisé et dans une ville cosmopolite.
Travaillant avec, ce qu'il appelle, une méthodologie spatiale, Isaacs fait de ces lieux de tournage les éléments centraux, qui font quasiment figure de personnages.
Les résidents de l'immeuble : des personnages hauts en couleurs
Les résidents de l'immeuble prennent tour à tour l'ascenseur, ils montent ou descendent, amènent de l’extérieur la vie trépidante de la ville pour se nicher dans leur confort domestique ou bien le quittent pour plonger dans le monde. Ainsi les figurants deviennent personnages, choisissant de se prêter au jeu ou pas, ils livrent à Isaacs des bribes de leur quotidien. Voici quelques portraits anonymes ou non captés par le cinéaste.
La première est une anonyme, il s'agit d'une femme âgée au rouge à lèvre criard et aux cheveux blonds décolorés. Lors de sa première apparition elle refuse l'entrée à un homme indien, elle s’autoproclame alors, gardienne du « reporter qui prend des photos ». Se disputant sans cesse avec ses voisins, elle apparaît acariâtre, désagréable, aigrie. Une sorcière urbaine qui se veut toute autre posant et souriant au cameraman. Il semble qu'elle soit Russe et juive puisqu'elle s'écrie « Mazeltov » avec un fort accent, alors qu'elle arrive à son étage. Le plus étonnant chez cette femme est qu'elle respecte davantage l'homme à la caméra, représentant de l’éphémère, que son propre voisinage qui la débecte.
nombre d'apparitions : 4
Entrent 2 femmes portant toge noire et voile blanc, elle sont noires, elles ne communiquent pas.
nombre d'apparitions : 1
La poulie de l'ascenseur rythme les allées et venues, elle crisse et apparaît comme la métaphore de l'intimité pleureuse des appartements de l'immeuble.
nombre d'apparitions : 8
Marc Isaacs apparaît quelques fois, il se filme au travers du plafond ou bien ce sont ses pieds sur le sol pastillé de lino bleu.
nombre d'apparitions : 5
Un homme indien + une nonne qui répond à sa question : « les gens se parlent beaucoup dans l'ascenseur ? » « parfois, quand on se connaît » elle sourit à l'homme indien
nombre d'apparitions de l'Indien : 3
nombre d'apparitions de la nonne : 3
Un couple arabe, l'homme regarde, la femme reste de dos
nombre d'apparitions : 1
une mouche
Cette mouche fait vraiment figure de personnage tant elle illustre le caractère glauque de cet ascenseur. Elle apparaît d'abord sur la paroi métallique rayée du Lift et meurt en dernière image.
nombre d'apparitions : 5
Sylvio, un italien au bonnet russe accompagné successivement d'un homme tenant son blouson, d'une femme et un bébé débattant de l'installation massive des Starbucks à Londres au détriment des petits commerces, et d'une jeune femme chantant.
nombre d'apparitions de Sylvio : 4
un British trentenaire sardonique, qui lui dit lors de la première rencontre : « J'ai un sauna et un jacuzzi dans l'appartement, c'est très agréable ». Il choisit néanmoins de coopérer et on entend ses pérégrinations de pub en pub dans Londres by night
nombre d'apparitions : 4
un homme complètement ivre vire Isaacs qui le filme de l’extérieur, se livre ensuite de bon cœur et explique son attitude disant qu'il était probablement saoul. Alors que Isaacs lui demande quel est son plus beau souvenir son visage s'illumine et il raconte que le plus bel instant de son existence a été la contemplation d'un aigle royal gigantesque et majestueux. Il s'appelle Peter et tente d'arrêter de boire et confie que les médecins refusent de l'aider.
nombre d'apparitions : 3
Deux anciens discutent , un papy bavard, Maurice qui vient de se faire opérer parle avec une dame qui semble ne pas avoir le temps. Maurice réapparaît et donne une sorte de spectacle de mains à Isaacs, on ne comprend pas vraiment ce qu'il tente de faire mais on sent sa bonhomie. On apprend aussi qu'il vient de subir une opération du cœur et que sans doute ce vieil homme sympathique mourra bientôt.
nombre d'apparitions de Maurice : 3
Dans un ascenseur bondé, une jeune femme chante, fait sa star, Sylvio est là et l'applaudit.
Un jeune Noir va voir sa nana le soir de la Saint Valentin, il porte baggy, casquette, il est cool. La seconde fois que Isaacs le rencontre le jeune homme lui dit qu'il va voir son ex petite amie avec qui il a rompu le lendemain de la Saint-Valentin.
nombre d'apparitions : 2
Un homme accroché à sa bière tient des propos incohérents
nombre d'apparitions : 1
Deux vieilles femmes racistes parlent et comptent le nombre de juifs de l'immeuble pour s'endormir.
Un homme noir, orphelin qui semble angoissé et inquiet. Son plus beau souvenir est d'avoir gagné un concours de flûte à bec, où il était le seul garçon parmi des fillettes. Ce personnage émeut le téléspectateur tant il paraît désorienté et triste.
nombre d'apparition : 3
L'Indien que nous avions rencontré avec la nonne revient et donne généreusement des fruits à Isaacs. C'est lui qui clôturera le film donnant du bétel (pâte à mâcher d'arec qui se déguste enroulée dans une feuille) au cinéaste.
nombre d'apparitions : 2
L'ascenseur, zone de transit :
Le choix d'un espace tel que l'ascenseur est très pertinent. Un transport public quel qu'il soit plonge les gens dans leur réflexion, ils sont déjà en partie chez eux, dans leur intérieur, dans leur tête. Mais ici, dans l'ascenseur, aucune échappatoire n'est possible. Le temps imparti est trop court pour que l'on prenne la peine de sortir un livre ou bien de se réfugier derrière un casque audio, Marc Isaacs l'a compris et en profite. Ses sujets sont tout à lui et l'espace où l'on baisse les yeux habituellement devient un lieu de rencontre et d'échange.
Un huis-clos très étroit (Image, Son & Montage)
D'un point de vue technique, l'ascenseur est loin d'être l'espace idéal, d'autant que Isaacs ne veut rien transformer, il entend filmer du vrai et ne doit donc pas changer les habitudes des usagers. Ainsi aucune lumière ni capteur de son n'ont été ajoutés. La force du film se joue au montage. La promiscuité du cinéaste avec ses sujets ajoute une certaine vérité dans la confidence, un caractère intime aux témoignages.
Crissement des poulies, film des cordages métalliques qui s'enroulent, choix des personnages, filmage du couloir extérieur, de la tour sous la neige, de sa propre condition, assis par terre puis sur une chaise... Tous ces éléments collés les uns aux autres de manière logique et rythmée animent Lift et en font un film captivant.
Conclusion : Le message du Lift
Pour conclure, je dirai que la révélation de l'extraordinaire se fait dans l'ordinaire, le quotidien. La vie bouillonne en chacun des individus qui vivent sur cette planète. Chacun d'entre nous a ses difficultés propres, ses rêves, son passé et ce que Marc Isaacs souligne ici, c'est que si nous nous intéressions davantage aux histoires des personnes qui nous entourent, si l'anonymat des grandes cités n'empêchait en rien la cordialité, il serait peut-être plus aisé de bien vivre ensemble, de réinventer la société pour un monde meilleur.