
En 1997, Sascha Ring s’installe à Berlin, véritable marmite électronique, et fonde deux ans plus tard le label désormais incontournable Shitkatapult. Le nom « Apparat » court alors sur toutes les lèvres, et chacun de ses maxis est un mini-évènement. L’année dernière sort le mélange tant attendu « Orchestra of bubbles » avec son amie Ellen Allien, joli succès qui réconcilie la pop et la minimale et qui annonce en quelque sorte une certaine maturité chez ce producteur et une volonté de se démarquer.
Le disque ne souffre d’aucun écart fatal et a tout l’air d’un tableau coloré, à l’image du visuel de la pochette où s’entrelacent des formes abstraites et bariolées. Apparat prête sa voix, au passage très émouvante, sur trois titres dotés de sublimes instrumentaux empruntés au trip hop et aux ambiances minimales. Les arrangements de cordes se mélangent aux voix des invités, notamment celle du confirmé Raz Ohara, pour sculpter un tout riche et désarmant qui révèle sa vraie beauté intérieure au fil des écoutes.
Entre pop futuriste et electronica, impossible de passer à côté de cet album qui restera dans le haut du tableau pour 2007, quelque soient les prochaines sorties…"

Et c'est par un énorme Singularities que débute le disque, hachant un vieux sample de cordes sur un lit de percussions affolées et autres effets noisy, à faire pâlir tout amateur de vinyles dépecés. Tous les sons s'empilent les uns sur les autres pour former une danse qui rappellerait presque celle d'un bandonéon rachitique, drogué jusqu'à la moelle. C'est superbe, dans la lignée direct du précédent album, ça tape, ça prend le cœur, ça vous file la frousse tout en vous donnant envie de bouger comme un con.
Fitnah assurera la première incursion vocale du disque, après une longue intro opaque habitée par un semblant de theremin, grâce à Mademoiselle Jessika Skeletalia Kenney, distillant ses mélopées orientales sur des vrombissements dubstep du plus bel effet. Un peu plus loin les excavations World de Filastine s'attaqueront au Flamenco sur The Sinking Ship, avec cette guitare en mode virtuose dynamitée par des soubresauts électro-flingués secs comme la mort.
Mais ce n'est pas qu'en jouant / torturant avec les sonorités du monde entier que Filastine s'évertue à donner un caractère universel à sa musique. Le musicien, qui ne veut pas limiter le Hip-hop à quelques invités venus des Usa, a l'excellente idée de proposer ses compostions aux flows de Mc Australien, Japonais, Anglais, Sud-américain ou Français... On tient d'ailleurs le tube du disque avec Hungry Ghosts, réunissant le Japonais EDC et l'australien Wire Mc. Aillant déjà le mérite de mettre en avant deux nations plus que sous exploitées par le Hiphop mondial, le morceau se paye une ligne de basse affolante, avec une mélodie saturée qui tuera toute nuque un tant soit peu sensible au genre. Wire se démènera sur un lit Grime âpre et explosé, avant que le morceau se transforme en bombe dancefloor avec handclaps imparables, les attaques verbales du Nippon se retrouvant ensevelies sous les coups de buttoir de Filastine. On retiendra aussi le très bon Grime / Dubstep de No Lock No Key, qui n'aurait pas fait tache sur le dernier album de The Bug. Mais c'est B'talla qui refera méchamment tressauter nos tympans, Rabah s'arrachant sur une instrue ultra saccadée et bouffée par les bugs.
C'est clairement ce coté électronique mâtiné de dubstep et autres facettes
Filastine² vrombissantes qui se démarque par rapport à la précédente galette de notre globe-trotteur favoris. Ca gronde, ça grince, ça explose constamment, exploitant moins les sonorités ethniques pour se focaliser sur une matière première plus dure et frontale. Certains morceaux, strictement électroniques et instrumentaux, iront dans ce sens, comme le sauvage Bitrate Sneers, le dubstep lézardé de scratchs de Desordenador ou l'electro-noise sauvage de Marxa. Les réminiscences orientales sont toujours présentes, mais se retrouvent dérouillées par un rouleau compresseur, là où elles pouvaient servir auparavant de fondations.
The road
La conclusion prendra le contre-pied du paragraphe ci-dessus, en nous balançant un morceau colossal, proche de certaines expérimentations du dernier Von Magnet, où le chant gitan de La Peria se retrouve mêlé à des paraboles expérimentales, pour un mélange à vous raidir la gueule pour dix jours. Absolument sublime, bien que bref, Como Fugitivos vous arrache le cœur pour vous le faire bouffer manu-militari avant de vous terminer à coup de pelle dans la tronche.
Sans égaler l'énorme Burn It, clairement plus inclassable que ce nouvel essai, Dirty Bomb continue avec brio son travail de sape au combien nécessaire : Celui de considérer la terre comme un seul pays, abolissant les frontières sonores pour plonger les éléments les plus traditionnels avec les excursions les plus synthétiques, sans jamais sonner comme une compilation pour globe-trotter du dimanche. Filastine aime le monde et ses hasards, il les défend, il les sublimes et veut surtout les porter aux oreilles du plus grand nombre en les mâtinant de sa patte dérouillée et aventureuse, toujours au bord de l'explosion.
Beaucoup plus frontal et rude que son prédécesseur, Dirty Bomb se pose en parfait miroir d'un monde où le soleil, entre les immeubles, se fait de plus en plus rachitique. Continuer à arpenter la route et en glaner ses richesses musicales, avant que tout soit recouvert de cendres. Trop rare dans nos oreilles, donc essentiel.
Filastine revient avec un album plus âpre, plus frontal, qui concasse toujours sauvagement les richesses d'un monde en déliquescence. "
Publié dans Krinein magazine